Le migrant n’est pas un criminel

Gilles Toussaint

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La politique de l’Union européenne de régulation des flux migratoires est axée sur le répressif et le sécuritaire. Elle bafoue trop souvent les droits fondamentaux des migrants, notamment en recourant à la détention systématique.

Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme des migrants, François Crépeau faisait escale au Parlement européen ce jeudi. Il y a présenté les résultats de son enquête sur la situation des droits des migrants aux frontières de l’Union. Un bilan loin d’être rose.

Les ONG de défense des droits de l’homme parlent d’une “Europe forteresse”. Cela repose-t-il sur des faits avérés ?

Cette qualification est évidemment un terme “médiadégradable” facilement compréhensible par tout le monde. Mais une chose est sûre : la conception qu’ont la plupart des Etats européens de la question migratoire aujourd’hui est une conception sécuritaire. Ils ne sont pas les seuls, c’est vrai partout dans le monde. Ce n’était pas le cas il y a 30 ans.

On a le sentiment que la politique de l’UE est focalisée sur ce pan sécuritaire, mais qu’elle oublie l’autre volet de sa mission qui est d’aider les migrants dont la présence sur le territoire européen peut se justifier…

La question des droits fondamentaux a été perdue de vue dans ce débat sécuritaire sur l’immigration. On oublie que les migrants – y compris ceux en situation irrégulière – ont les mêmes droits fondamentaux que les citoyens à l’exception du doit de voter et d’être élu; et du droit d’entrer et de rester sur le territoire. Quand on caractérise ces derniers comme des illégaux, c’est souvent pour connoter le fait qu’ils n’auraient aucun droit. C’est là qu’il y a un problème, ils devraient être traités exactement comme les autres citoyens. Cette conception a été perdue de vue, alors même que l’Europe possède un énorme bagage et une vaste jurisprudence en matière de protection des droits fondamentaux.

Ne règne-t-il pas une certaine opacité autour des conditions de rétention de ces personnes qui, a priori, n’ont rien commis de répréhensible ?

Ce que vous venez de dire est très important. Le migrant en situation irrégulière n’est pas un criminel. L’entrée irrégulière ou le séjour irrégulier est une violation d’une règle administrative, mais ce n’est pas un crime. Cela ne justifie pas nécessairement un enfermement. La détention préventive pour ces personnes, comme pour tout un chacun, n’est justifiée que si elles représentent un danger pour elles-mêmes ou pour d’autres ou si elles risquent de ne pas se représenter à une procédure ultérieure à laquelle elles sont convoquées. La Directive Retour européenne prévoit d’ailleurs que la détention soit un acte de dernier recours et qu’il faut donc utiliser d’autres moyens avant d’en arriver là. Il existe diverses alternatives pour éviter de détenir les gens quand ce n’est pas nécessaire.

Il y a un souci de ce point de vue ?

Oui. Sur le terrain nous n’avons pas observé de la part des Etats la mise en place de ces mécanismes alternatifs. On a également pu constater que les droits des enfants sont mal respectés. J’ai visité des centres en Grèce et en Italie et, de l’autre côté de la frontière, en Tunisie et en Turquie. Et j’ai vu des mineurs partout, particulièrement en Grèce.

Les ONG estiment que certaines opérations de Frontex(1) sont contraires au principe de non-refoulement inscrit dans le droit européen. Partagez-vous ce sentiment ?

Cette protection s’applique aux personnes qui risquent d’être persécutées dans leur pays ou qui s’exposent à des traitements dégradants – par exemple, le fait de ne pas pouvoir être soigné dans de bonnes conditions. Mais ce principe ne peut être mis en œuvre que si quelqu’un de compétent vérifie dans chaque cas s’il y a un besoin de protection. Cela peut-être le HCR, la Croix-Rouge, un personnel spécialisé formé pour cela mais il faut qu’il y ait une évaluation individuelle. Or dans les cas de détention massive que nous avons analysés, cela n’a pas été fait.Autre exemple : l’Italie a passé des accords bilatéraux avec la Tunisie, et l’Egypte pour le renvoi extrêmement rapide (moins de 72 h) de ressortissants de ces pays interceptés en mer. Ils sont amenés dans des centres de détention ad hoc, c’est-à-dire un hangar réquisitionné, et ensuite à l’aéroport de Palerme où deux charters sont affrétés par semaine. Mais aucun des organes qui a pour mission de faire les visites d’évaluation dans ce type de centre n’y a accès. Je n’ai rien contre un renvoi rapide, cela ne sert à rien de donner aux gens l’illusion qu’ils ont le droit de rester quand ce n’est pas le cas. Mais on ne peut pas le faire sans vérifier s’ils n’ont pas besoin de protection.

Pourquoi l’Europe attire-t-elle les migrations irrégulières ?

Parce qu’il y a un bassin d’emplois pour l’immigration exploitable. Il y a des employeurs en Europe dont la compétitivité est assurée parce qu’ils utilisent des gens à 3€ de l’heure dans le secteur agricole, de la construction et autres. Si nous ne payons par la barquette de fraises 17 €, c’est parce des migrants acceptent de travailler 10h par jour dans les champs pour 20€, comme j’ai pu le voir en Italie.

Tant que l’on n’a pas une ouverture à la migration légale pour ces besoins du marché du travail européen, les migrants continueront à arriver irrégulièrement parce que ces employeurs ont de toute façon besoin d’eux. Et plus la frontière est difficile à franchir, plus ils sont en situation vulnérable et facilement exploitables parce qu’ils ne votent pas, ils ne protestent pas et ne se plaignent pas. C’est un cercle vicieux. Il faut diminuer les facteurs d’exploitation et mettre en place un accès à la justice et aux services publics pour que ces personnes reçoivent le soutien nécessaire sans crainte d’être arrêtées et renvoyées chez eux.

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